Le roman graphique fait son cinéma!

 

On ne compte plus le nombre d'adaptations de romans graphiques qui déferlent sur grand écran depuis ces dernières années. Les studios hollywoodiens notamment n'hésitent pas à puiser dans leur fond de comics. Entre Sin City, 300, The Spirit, The Watchmen, ces transpositions plus ou moins réussies, ont trouvé leur public. C'est donc avec appétit que les studios se jettent sur les droits d'adaptations de ces œuvres. Quels sont les ingrédients d'un tel succès?

 

Pour les cinéastes, le grand défi est de parvenir à transposer le plus fidèlement possible la puissance graphique à l’écran, sans livrer une simple redite du roman graphique. L'ambition première est bien de produire une œuvre cinématographique aussi créative et esthétique que l'originale.

 

Par exemple, le film 30 jours de nuit sorti en 2007, réalisé par Davis Slade sous la houlette de Sam Raimi et Robert Tapert, est tiré du roman graphique éponyme de Steve Niles, auteur incontournable de la bande dessinée d'horreur, et du talentueux dessinateur Ben Templesmith (paru chez IDW Publishing aux États-Unis et aux Éditions Delcourt dans la prestigieuse collection Contrebande, en France).

 

Couverture © Guy Delcourt Productions
Couverture © Guy Delcourt Productions
Affiche du film source: allociné
Affiche du film source: allociné

 

Le pitch? Une armée de vampire qui profite chaque année de la pénombre dans laquelle est plongée pendant un mois la petite ville de Barrow en Alaska, pour assouvir sa soif de sang humain. Le premier tome du comic-book est un succès outre atlantique.


Le duo de producteurs, Sam Raimi et Robert Tapert, fasciné par le traitement visuel, le scénario implacable du roman graphique, fait appel à David Slade, Brian Nelson, Jo Willems et Art Jones (respectivement scénariste, directeur de la photo et chef monteur de Hard Candyafin de transposer le plus fidèlement possible l’univers fantasmatique de la bande dessinée sur l'écran. David Slade explique: « Je voulais absolument retrouver la même esthétique et la même ambiance dans le film (…) Le succès d’une BD comme 30 jours de nuit tient autant de son intrigue que de ses illustrations (…) Pour lui rester fidèle, nous devions respecter son histoire mais aussi l’univers crépusculaire matérialisé par ses dessins».

Les vampires devant paraître presque humains, le cinéaste anglais opte pour une approche plus traditionnelle mêlant maquillages et prothèses pour les rendre plus réalistes. Ce sont les artistes néo-zélandais de Weta Workshop (chargés du maquillage sur la trilogie du Seigneur des anneaux) qui donnent vie aux dessins.

 


© Guy Delcourt Productions 2004
© Guy Delcourt Productions 2004
source: yozone
source: yozone

 

Ben Templesmith constate: « Ils ont parfaitement réussi à retranscrire ce qui fait le caractère particulier de notre bande dessinée (…) Ils sont restés très fidèles à mes dessins. Les couleurs sont aussi rares que dans la BD et les vampires ont exactement la même apparence ».

Les acteurs n'ont pas été choisis au hasard: Josh Hartnett, Melissa George, Danny Huston. (Source: yozone)


Le roman graphique s'apparenterait presque à un story-board de film, moyennant quelques adaptations de circonstance.


Présenté hors compétition au Festival de Cannes 2010 et sorti au cinéma la même année, le film Tamara Drewe réalisé par Stephen Frears, est une adaptation du roman graphique éponyme de Posy Simmonds (Éditions Denoël, 2008).

 

 

Couverture du livre © Éditions Denoël Graphic          Posy Simmonds
Couverture du livre © Éditions Denoël Graphic Posy Simmonds

 

La dessinatrice de presse et de livres pour enfants s'est inspirée d'un grand roman de la littérature du XIXème siècle, Loin de la foule déchaînée de Thomas Hardy (adapté au cinéma en 1967 par John Schlesinger).

 

L'histoire du roman graphique suit Tamara Drewe, jeune chroniqueuse londonienne, séduisante et forte de son nez refait, qui décide de retourner dans son village natal à la campagne. Immédiatement, la bombe sexuelle bouleverse ce petit monde tranquille, attire les convoitises, engendrant une cascade d'évènements...


La scénariste Moira Buffini confie à propos du roman graphique: « C’est visuellement très complet et c’est presque déjà un film. Dans ses dessins, Posy donne énormément d’indications sur les personnages. Le roman graphique est littéralement un story-board. Il nous est souvent arrivé de tourner une scène, puis de regarder dans le livre en nous disant qu’on ne pouvait pas faire mieux ».

 

 

© Éditions Denoël Graphic Posy Simmonds
© Éditions Denoël Graphic Posy Simmonds

 

 

 

 

Les personnages sont très réalistes, dessinés sans caricatures. Les couleurs tentent de rester aussi proches de la réalité.

 

 

© Éditions Denoël Graphic Posy Simmonds
© Éditions Denoël Graphic Posy Simmonds


L'auteure mêle harmonieusement (longs) textes, illustrations monochromes ou en couleurs et cases de bande dessinée, comme l'illustre la planche ci-dessous.

 

 

© Éditions Denoël Graphic Posy Simmonds
© Éditions Denoël Graphic Posy Simmonds

 

Les séquences de flash-back sont dessinées dans des tons de bleu et blanc pour se démarquer du récit:

 

© Éditions Denoël Graphic Posy Simmonds
© Éditions Denoël Graphic Posy Simmonds

 

Un style graphique unique au service d'une satire sociale captivante! Pour le réalisateur Stephen Frears, le roman graphique est une source riche d'inspiration: « Le scénario m’a fait rire. Je l’ai trouvé drôle, sexy et contemporain. Adapter un roman graphique, c’est libérateur. On peut laisser courir son imagination, ça libère d’une façon extraordinaire (...) c’est une BD intelligente, fine, qui parle de choses qu’on connaît. Je n’avais jamais fait de film comme Tamara Drewe, j’ai dû tout inventer (...) le scénario proposait un élément rare: les Anglais ne font pas de films sur la bourgeoisie. C’est davantage une tradition française, regardez les films de Chabrol sur la bourgeoisie… Mais j’aime bien dire aussi que Tamara Drewe est une comédie pastorale!». (Source: Allociné, lecture et compagnie)

 

 

Au-delà des aspects scénaristiques et graphiques, les cinéastes font appel à une pléiade de stars pour incarner les personnages, comme vous avez pu déjà le constater.


Pour promouvoir le roman graphique Clones (The Surrogatesdu scénariste Robert Venditti et du dessinateur Brett Weldele, sorti en même temps que son adaptation au cinéma par Jonathan Mostow en 2009, la maison d'Édition Delcourt est allée jusqu'à utiliser l'affiche du film comme couverture du livre! Le lecteur lambda aura entendu parler plus facilement de la version cinéma avec une star telle que Bruce Willis...

 

© Guy Delcourt Productions 2009
© Guy Delcourt Productions 2009

 

 

 

L’un des atouts des adaptations au cinéma est de faire découvrir à un plus large public des œuvres remarquables. Ainsi, le film From Hell a permis aux cinéphiles de découvrir l’œuvre d'Alan Moore et de Eddie Campbell, ou encore The Fountain a révélé le talent de Kent Williams, peintre et dessinateur de roman graphique!

 

© Guy Delcourt Productions
© Guy Delcourt Productions
© Guy Delcourt Productions
© Guy Delcourt Productions
© Guy Delcourt Productions
© Guy Delcourt Productions

 

 

Autre exemple, l'histoire du film V pour Vendetta, adaptation de la bande dessinée d'Alan Moore (La ligue des Gentlemen extraordinairesThe Watchmen) et de l'illustre dessinateur David Lloyd, publiée entre 1982 et 1985 dans l'anthologie anglaise de bandes dessinées Warrior, puis réimprimée et complétée par DC Comics en 1988. Ces bandes dessinées ont été compilées dans un roman graphique publié à nouveau aux États-Unis par Vertigo (filiale de DC Comics), au Royaume-Uni par Titan Books, et en France aux Éditions Delcourt.

 

© Guy Delcourt Productions
© Guy Delcourt Productions

 

Les scénaristes du film, les frères Wachowski, ont remanié l'intrigue à leur sauce. C'est pourquoi, des différences majeures sont perceptibles entre le film et l'histoire originale. Les contraintes liées à l'adaptation cinématographique impliquent un raccourcissement de l'histoire, le grossissement des traits des personnages et l'effacement de certains personnages, voire de certains détails de l'histoire comme le système informatique « Destin » (Fate) du gouvernement.

En imaginant un conflit entre État fasciste et anarchisme, Alan Moore s'est interrogé sur une alternative au thatchérisme britannique, au début des années 1980. Le film, lui, se veut ancré dans un contexte politique moderne: dans le comics, le monde a été dévasté par une guerre nucléaire et seule la Grande-Bretagne semble épargnée, alors que le film indique l'effondrement des États-Unis et une guerre civile.

S'agissant des personnages: dans le film, Evey Hammond, jeune femme confiante et cultivée, un brin de rébellion, se transforme en la protégée de V, alors que le livre dépeint une jeune fille de 16 ans, fragile et désespérée, qui se prostitue. Le film développe une intrigue sentimentale entre les deux protagonistes, s'achevant d'ailleurs sur leurs déclarations d'amour, tandis que la relation qu'ils entretiennent dans le roman graphique reste platonique. A la fin du film, l'Inspecteur Finch adhère à la cause de V mais dans l'histoire originale, il est déterminé à le tuer.


Le cinéma offre ainsi une nouvelle dimension à l'univers du roman graphique puisque le lecteur-spectateur profite de deux œuvres complémentaires ou deux versions, à partir de l'idée originale du scénario. Le public est invité à reconsidérer son expérience personnelle de la réception de l'œuvre dans son intensité, sa profondeur, son authenticité, sa force vive.


Une véritable mutation s'opère dans l'univers éditorial, tant le roman graphique est une évidence portée par cette étroite collaboration esthétique et émotionnelle avec le cinéma.

Le roman graphique est bel et bien devenu le point de convergence incontournable dans le processus de reconnaissance et de diffusion d'une œuvre cinématographique. Les projets de romans graphiques tirés du cinéma, pullulent: Persepolis, Valse avec Bachir, Millénium, Les Immortels, Rubicon, Twilight. (Voir: Actualité roman graphique et cinéma)

 

Certes, la rencontre de cinéastes avec des auteurs de roman graphique vient alimenter, il faut l'avouer, une grosse machine à fric. Les studios de cinéma profitent de l’existence d'un fond littéraire riche pour combler leur manque d’inspiration ou pour répondre sans doute à la crise en ne prenant pas de risques... Quoi qu'il en soit, ils bénéficient de la matière d’une nouvelle écriture et d'un nouveau regard.

 

Dans une interview accordée à Esquire le 20 mars 2007, Jean-Luc Cano, scénariste de bande dessinée et réalisateur de cinéma, met en avant les qualités qu'apporte un dessinateur de bande dessinée et roman graphique à la production d'un film: « [Son] sens artistique (…) est un avantage non négligeable dans l'équipe d'un film. En quelques coups de crayon, il peut transposer sur le papier la vision du réalisateur, mais aussi y apporter sa propre créativité, son propre univers, et nourrir cette vision de nouvelles idées (…) Cette force de travail est essentielle dans l'étape de conception visuelle d'un film. ».

 

Le cinéma rend hommage à des chefs-d'œuvre de roman graphique, permet de révéler au grand jour la diversité, la richesse et le génie créatif de ceux qui réalisent les images aujourd'hui, en l'occurrence, les dessinateurs de roman graphique.

 

 

Emmanuelle B.

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